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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

dix siècles. Ainsi le larton[1] devient le lartif ; le gail[2] devient le gaye ; la fertanche[3], la fertille ; le momignard, le momacque ; les siques[4], les frusques ; la chique[5], l’égrugeoir ; le colabre[6], le colas. Le diable est d’abord gahisto, puis le rabouin, puis le boulanger ; le prêtre est le ratichon, puis le sanglier ; le poignard est le vingt-deux, puis le surin, puis le lingre ; les gens de police sont des railles, puis des roussins, puis des rousses, puis des marchands de lacets, puis des coqueurs, puis des cognes ; le bourreau est le taule, puis Charlot, puis l’atigeur, puis le becquillard. Au dix-septième siècle, se battre, c’était se donner du tabac ; au dix-neuvième, c’est se chiquer la gueule. Vingt locutions différentes ont passé entre ces deux extrêmes. Cartouche parlerait hébreu pour Lacenaire. Tous les mots de cette langue sont perpétuellement en fuite comme les hommes qui les prononcent.

Cependant, de temps en temps, et à cause de ce mouvement même, l’ancien argot reparaît et redevient nouveau. Il a ses chefs-lieux où il se maintient. Le Temple conservait l’argot du dix-septième siècle ; Bicêtre, lorsqu’il était prison, conservait l’argot de Thunes. On y entendait la terminaison en anche des vieux thuneurs. Boyanches-tu (bois-tu ? ) ? il croyanche (il croit). Mais le mouvement perpétuel n’en reste pas moins la loi.

  1. Pain.
  2. Cheval.
  3. Paille.
  4. Hardes.
  5. L’église.
  6. Le cou.