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LES MISÉRABLES. — L’IDYLLE RUE PLUMET.

Et elle avait répondu :

— Voilà.

Puis elle s’était assise sur le banc près du perron, et pendant qu’il prenait place tout tremblant auprès d’elle, elle avait poursuivi :

— Mon père m’a dit ce matin de me tenir prête, qu’il avait des affaires, et que nous allions peut-être partir.

Marius frissonna de la tête aux pieds.

Quand on est à la fin de la vie, mourir, cela veut dire partir ; quand on est au commencement, partir, cela veut dire mourir.

Depuis six semaines, Marius, peu à peu, lentement, par degrés, prenait chaque jour possession de Cosette. Possession tout idéale, mais profonde. Comme nous l’avons expliqué déjà, dans le premier amour, on prend l’âme bien avant le corps ; plus tard on prend le corps bien avant l’âme, quelquefois on ne prend pas l’âme du tout ; les Faublas et les Prudhomme ajoutent : parce qu’il n’y en a pas ; mais ce sarcasme est par bonheur un blasphème. Marius donc possédait Cosette, comme les esprits possèdent ; mais il l’enveloppait de toute son âme et la saisissait jalousement avec une incroyable conviction. Il possédait son sourire, son haleine, son parfum, le rayonnement profond de ses prunelles bleues, la douceur de sa peau quand il lui touchait la main, le charmant signe qu’elle avait au cou, toutes ses pensées. Ils étaient convenus de ne jamais dormir sans rêver l’un de l’autre, et ils s’étaient tenu parole. Il possédait donc tous les rêves de Cosette. Il regardait sans cesse et il effleurait quelquefois de son souffle les petits cheveux qu’elle