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II

LE DRAPEAU. — DEUXIÈME ACTE



Depuis qu’on était arrivé à Corinthe et qu’on avait commencé à construire la barricade, on n’avait plus guère fait attention au père Mabeuf. M. Mabeuf pourtant n’avait pas quitté l’attroupement. Il était entré dans le rez-de-chaussée du cabaret et s’était assis derrière le comptoir. Là, il s’était pour ainsi dire anéanti en lui-même. Il semblait ne plus regarder et ne plus penser. Courfeyrac et d’autres l’avaient deux ou trois fois accosté, l’avertissant du péril, l’engageant à se retirer, sans qu’il parût les entendre. Quand on ne lui parlait pas, sa bouche remuait comme s’il répondait à quelqu’un, et, dès qu’on lui adressait la parole, ses lèvres devenaient immobiles et ses yeux n’avaient plus l’air vivants. Quelques heures avant que la barricade fût attaquée, il avait pris une posture qu’il n’avait plus quittée, les deux poings sur ses deux genoux et la tête penchée en avant comme s’il regardait dans un précipice. Rien n’avait pu le tirer de cette attitude ; il ne paraissait pas que son esprit fût