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LES GRANDEURS DU DÉSESPOIR.

Des ruisseaux de sang coulèrent de dessous lui. Sa vieille tête, pâle et triste, semblait regarder le ciel.

Une de ces émotions supérieures à l’homme qui font qu’on oublie même de se défendre, saisit les insurgés, et ils s’approchèrent du cadavre avec une épouvante respectueuse.

— Quels hommes que ces régicides ! dit Enjolras.

Courfeyrac se pencha à l’oreille d’Enjolras :

— Ceci n’est que pour toi, et je ne veux pas diminuer l’enthousiasme. Mais ce n’était rien moins qu’un régicide. Je l’ai connu. Il s’appelait le père Mabeuf. Je ne sais pas ce qu’il avait aujourd’hui. Mais c’était une brave ganache. Regarde-moi sa tête.

— Tête de ganache et cœur de Brutus, répondit Enjolras.

Puis il éleva la voix :

— Citoyens ! ceci est l’exemple que les vieux donnent aux jeunes. Nous hésitions, il est venu ! nous reculions, il a avancé ! Voilà ce que ceux qui tremblent de vieillesse enseignent à ceux qui tremblent de peur ! Cet aïeul est auguste devant la patrie. Il a eu une longue vie et une magnifique mort ! Maintenant abritons le cadavre, que chacun de nous défende ce vieillard mort comme il défendrait son père vivant, et que sa présence au milieu de nous fasse la barricade imprenable.

Un murmure d’adhésion morne et énergique suivit ces paroles.

Enjolras se courba, souleva la tête du vieillard, et, farouche, le baisa au front, puis, lui écartant les bras, et