Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/78

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la barrière et suivi quelque temps à gauche l’ancien boulevard intérieur, on atteint la rue de la Santé, puis la Glacière, et, un peu avant d’arriver à la petite rivière des Gobelins, on rencontre une espèce de champ, qui est, dans la longue et monotone ceinture des boulevards de Paris, le seul endroit où Ruisdael serait tenté de s’asseoir.

Ce je ne sais quoi d’où la grâce se dégage est là, un pré vert traversé de cordes tendues où des loques sèchent au vent, une vieille ferme à maraîchers bâtie du temps de Louis XIII avec son grand toit bizarrement percé de mansardes, des palissades délabrées, un peu d’eau entre des peupliers, des femmes, des rires, des voix ; à l’horizon le Panthéon, l’arbre des Sourds-Muets, le Val-de-Grâce, noir, trapu, fantasque, amusant, magnifique, et au fond le sévère faîte carré des tours de Notre-Dame.

Comme le lieu vaut la peine d’être vu, personne n’y vient. À peine une charrette ou un roulier tous les quarts d’heure.

Il arriva une fois que les promenades solitaires de Marius le conduisirent à ce terrain près de cette eau. Ce jour-là, il y avait sur ce boulevard une rareté, un passant. Marius, vaguement frappé, du charme presque sauvage du lieu, demanda à ce passant : — Comment se nomme cet endroit-ci ?

Le passant répondit : — C’est le champ de l’Alouette.

Et il ajouta : — C’est ici qu’Ulbach a tué la bergère d’Ivry.

Mais après ce mot : l’Alouette, Marius n’avait plus rien entendu. Il y a de ces congélations subites dans l’état rêveur qu’un mot suffit à produire. Toute la pensée se condense