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LA DESCENTE.

se déroba absolument à cette contagion, et, quoi que fît le père Madeleine, y demeura rebelle, comme si une sorte d’instinct, incorruptible et imperturbable, l’éveillait et l’inquiétait. Il semblerait en effet qu’il existe dans certains hommes un véritable instinct bestial, pur et intègre comme tout instinct, qui crée les antipathies et les sympathies, qui sépare fatalement une nature d’une autre nature, qui n’hésite pas, qui ne se trouble, ne se tait et ne se dément jamais, clair dans son obscurité, infaillible, impérieux, réfractaire à tous les conseils de l’intelligence et à tous les dissolvants de la raison, et qui, de quelque façon que les destinées soient faites, avertit secrètement l’homme-chien de la présence de l’homme-chat, et l’homme-renard de la présence de l’homme-lion.

Souvent, quand M. Madeleine passait dans une rue, calme, affectueux, entouré des bénédictions de tous, il arrivait qu’un homme de haute taille, vêtu d’une redingote gris de fer, armé d’une grosse canne et coiffé d’un chapeau rabattu, se retournait brusquement derrière lui, et le suivait des yeux jusqu’à ce qu’il eût disparu, croisant les bras, secouant lentement la tête, et haussant sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu’à son nez, sorte de grimace significative qui pourrait se traduire par : — Mais qu’est-ce que c’est que cet homme-là ? — Pour sûr je l’ai vu quelque part. — En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe.

Ce personnage, grave d’une gravité presque menaçante, était de ceux qui, même rapidement entrevus, préoccupent l’observateur. Il se nommait Javert, et il était de la police.