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LES MISÉRABLES. — FANTINE.

on voyait tout à coup sortir de toute cette ombre, comme d’une embuscade, un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux.

À ses moments de loisirs, qui étaient peu fréquents, tout en haïssant les livres, il lisait ; ce qui fait qu’il n’était pas complètement illettré. Cela se reconnaissait à quelque emphase dans sa parole.

Il n’avait aucun vice, nous l’avons dit. Quand il était content de lui, il s’accordait une prise de tabac. Il tenait à l’humanité par là.

On comprendra sans peine que Javert était l’effroi de toute cette classe que la statistique annuelle du ministère de la justice désigne sous la rubrique : Gens sans aveu. Le nom de Javert prononcé les mettait en déroute ; la face de Javert apparaissant les pétrifiait.

Tel était cet homme formidable.

Javert était comme un œil toujours fixé sur M. Madeleine. Œil plein de soupçon et de conjectures. M. Madeleine avait fini par s’en apercevoir, mais il sembla que cela fût insignifiant pour lui. Il ne fit pas même une question à Javert, il ne le cherchait ni ne l’évitait, il portait sans paraître y faire attention, ce regard gênant et presque pesant. Il traitait Javert comme tout le monde, avec aisance et bonté.

À quelques paroles échappées à Javert, on devinait qu’il avait recherché secrètement, avec cette curiosité qui tient à la race et où il entre autant d’instinct que de volonté, toutes les traces antérieures que le père Madeleine avait pu laisser