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LES MISÉRABLES. — FANTINE.

Puis elle descendit l’escalier et sortit en courant et en sautant, riant toujours.

Quelqu’un qui la rencontra lui dit — Qu’est-ce que vous avez donc à être si gaie ?

Elle répondit : — C’est une bonne bêtise que viennent de m’écrire des gens de la campagne. Ils me demandent quarante francs. Paysans, va !

Comme elle passait sur la place, elle vit beaucoup de monde qui entourait une voiture de forme bizarre, sur l’impériale de laquelle pérorait tout debout un homme vêtu de rouge. C’était un bateleur dentiste en tournée, qui offrait au public des râteliers complets, des opiats, des poudres et des élixirs.

Fantine se mêla au groupe et se mit à rire comme les autres de cette harangue où il y avait de l’argot pour la canaille et du jargon pour les gens comme il faut. L’arracheur de dents vit cette belle fille qui riait, et s’écria tout à coup : — Vous avez de jolies dents, la fille qui riez là. Si vous voulez me vendre vos deux palettes, je vous donne de chaque un napoléon d’or.

— Qu’est-ce que c’est que ça, mes palettes ? demanda Fantine.

— Les palettes, reprit le professeur dentiste, c’est les dents de devant, les deux d’en haut.

— Quelle horreur ! s’écria Fantine,

— Deux napoléons ! grommela une vieille édentée qui était là. Qu’en voilà une qui est heureuse !

Fantine s’enfuit et se boucha les oreilles pour ne pas entendre la voix enrouée de l’homme qui lui criait : — Ré-