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  L’affaire Champmathieu. 415

Sa tête était brûlante. Il alla à la fenêtre et l’ouvrit toute grande. Il n’y avait pas d’étoiles au ciel. Il revint s’asseoir près de la table.

La première heure s’écoula ainsi.

Peu à peu cependant des linéaments vagues commencèrent à se former et à se fixer dans sa méditation, et il put entrevoir avec la précision de la réalité, non l’ensemble de la situation, mais quelques détails.

Il commença par reconnaître que, si extraordinaire et si critique que fût cette situation, il en était tout à fait le maître.

Sa stupeur ne fit que s’en accroître.

Indépendamment du but sévère et religieux que se proposaient ses actions, tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour n’était autre chose qu’un trou qu’il creusait pour y enfouir son nom. Ce qu’il avait toujours le plus redouté, dans ses heures de repli sur lui-même, dans ses nuits d’insomnie, c’était d’entendre jamais prononcer ce nom ; il se disait que ce serait là pour lui la fin de tout ; que le jour où ce nom reparaîtrait, il ferait évanouir autour de lui sa vie nouvelle, et, qui sait même peut-être ? au dedans de lui sa nouvelle âme. Il frémissait de la seule pensée que c’était possible. Certes, si quelqu’un lui eût dit en ces moments-là qu’une heure viendrait où ce nom retentirait à son oreille, où ce hideux mot, Jean Valjean, sortirait tout à coup de la nuit et se dresserait devant lui, où cette lumière formidable faite pour dissiper le mystère dont il s’enveloppait resplendirait subitement sur sa tête, et que ce nom ne le menacerait pas, que cette lumière ne produirait qu’une obscurité plus