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446 Les Misérables. ― Fantine.  

Au fond, pour tout dire, il eût mieux aimé ne point aller à Arras.

Cependant il y allait.

Tout en songeant, il fouettait le cheval, lequel trottait de ce bon trot réglé et sûr qui fait deux lieues et demie à l’heure.

À mesure que le cabriolet avançait, il sentait quelque chose en lui qui reculait.

Au point du jour il était en rase campagne ; la ville de Montreuil-sur-mer était assez loin derrière lui. Il regarda l’horizon blanchir ; il regarda, sans les voir, passer devant ses yeux toutes les froides figures d’une aube d’hiver. Le matin a ses spectres comme le soir. Il ne les voyait pas, mais, à son insu, et par une sorte de pénétration presque physique, ces noires silhouettes d’arbres et de collines ajoutaient à l’état violent de son âme je ne sais quoi de morne et de sinistre.

Chaque fois qu’il passait devant une de ces maisons isolées qui côtoient parfois les routes, il se disait : il y a pourtant là-dedans des gens qui dorment !

Le trot du cheval, les grelots du harnais, les roues sur le pavé, faisaient un bruit doux et monotone. Ces choses-là sont charmantes quand on est joyeux et lugubres quand on est triste.

Il était grand jour lorsqu’il arriva à Hesdin. Il s’arrêta devant une auberge pour laisser souffler le cheval et lui faire donner l’avoine.

Ce cheval était, comme l’avait dit Scaufflaire, de cette petite race du Boulonnais qui a trop de tête, trop de ventre