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LA GUERRE ENTRE QUATRE MURS.

l’on étendit sur les deux corps le châle noir. Il y en eut assez pour le vieillard et pour l’enfant.

Combeferre distribua les cartouches du panier qu’il avait rapporté.

Cela donnait à chaque homme quinze coups à tirer.

Jean Valjean était toujours à la même place, immobile sur sa borne. Quand Combeferre lui présenta ses quinze cartouches, il secoua la tête.

— Voilà un rare excentrique, dit Combeferre bas à Enjolras. Il trouve moyen de ne pas se battre dans cette barricade.

— Ce qui ne l’empêche pas de la défendre, répondit Enjolras.

— L’héroïsme a ses originaux, reprit Combeferre.

Et Courfeyrac, qui avait entendu, ajouta :

— C’est un autre genre que le père Mabeuf.

Chose qu’il faut noter, le feu qui battait la barricade en troublait à peine l’intérieur. Ceux qui n’ont jamais traversé le tourbillon de ces sortes de guerre, ne peuvent se faire aucune idée des singuliers moments de tranquillité mêlés à ces convulsions. On va et vient, on cause, on plaisante, on flâne. Quelqu’un que nous connaissons a entendu un combattant lui dire au milieu de la mitraille : Nous sommes ici comme à un déjeuner de garçons. La redoute de la rue de la Chanvrerie, nous le répétons, semblait au dedans fort calme. Toutes les péripéties et toutes les phases avaient été ou allaient être épuisées. La position, de critique, était devenue menaçante, et, de menaçante, allait probablement devenir désespérée. À mesure que la situation s’assom-