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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

cette redoute lugubre, cette immobilité, cette impassibilité, d’où la mort sortait. Quelques-uns rampaient à plat ventre jusqu’au haut de la courbe du pont en ayant soin que leurs shakos ne passassent point.

Le vaillant colonel Monteynard admirait cette barricade avec un frémissement. — Comme c’est bâti ! disait-il à un représentant. Pas un pavé ne déborde l’autre. C’est de la porcelaine. — En ce moment une balle lui brisa sa croix sur sa poitrine, et il tomba.

— Les lâches ! disait-on. Mais qu’ils se montrent donc ! qu’on les voie ! ils n’osent pas ! ils se cachent ! — La barricade du faubourg du Temple, défendue par quatrevingts hommes, attaquée par dix mille, tint trois jours. Le quatrième, on fit comme à Zaatcha et à Constantine, on perça les maisons, on vint par les toits, la barricade fut prise. Pas un des quatrevingts lâches ne songea à fuir, tous y furent tués, excepté le chef, Barthélemy, dont nous parlerons tout à l’heure.

La barricade Saint-Antoine était le tumulte des tonnerres ; la barricade du Temple était le silence. Il y avait entre ces deux redoutes la différence du formidable au sinistre. L’une semblait une gueule ; l’autre un masque.

En admettant que la gigantesque et ténébreuse insurrection de juin fût composée d’une colère et d’une énigme, on sentait dans la première barricade le dragon et derrière la seconde le sphinx.

Ces deux forteresses avaient été édifiées par deux hommes nommés, l’un Cournet, l’autre Barthélemy. Cournet avait fait la barricade Saint-Antoine ; Barthélemy la barricade du