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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

tion à l’âme de reconnaître le véritable absolu quand il se confronte avec l’absolu fictif, l’humanité imperdable, le cœur humain inamissible, ce phénomène splendide, le plus beau peut-être de nos prodiges intérieurs, Javert le comprenait-il ? Javert le pénétrait-il ? Javert s’en rendait-il compte ? Évidemment non. Mais sous la pression de cet incompréhensible incontestable, il sentait son crâne s’entr’ouvrir.

Il était moins le transfiguré que la victime de ce prodige. Il le subissait, exaspéré. Il ne voyait dans tout cela qu’une immense difficulté d’être. Il lui semblait que désormais sa respiration était gênée à jamais.

Avoir sur sa tête de l’inconnu, il n’était pas accoutumé à cela.

Jusqu’ici tout ce qu’il avait au-dessus de lui avait été pour son regard une surface nette, simple, limpide ; là rien d’ignoré, ni d’obscur ; rien qui ne fût défini, coordonné, enchaîné, précis, exact, circonscrit, limité, fermé ; tout prévu ; l’autorité était une chose plane ; aucune chute en elle, aucun vertige devant elle. Javert n’avait jamais vu de l’inconnu qu’en bas. L’irrégulier, l’inattendu, l’ouverture désordonnée du chaos, le glissement possible dans un précipice, c’était là le fait des régions inférieures, des rebelles, des mauvais, des misérables. Maintenant Javert se renversait en arrière, et il était brusquement effaré par cette apparition inouïe : un gouffre en haut.

Quoi donc ! on était démantelé de fond en comble ! on était déconcerté, absolument ! À quoi se fier ! Ce dont on était convaincu s’effondrait !