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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Et, comme on rattache un fil à un autre fil, emboîtant le pas de son mieux dans l’itinéraire que l’homme avait dû suivre, il se mit en marche à travers le taillis.

Quand il eut fait une centaine d’enjambées, le jour, qui commençait à se lever, l’aida. Des semelles empreintes sur le sable çà et là, des herbes foulées, des bruyères écrasées, de jeunes branches pliées dans les broussailles et se redressant avec une gracieuse lenteur comme les bras d’une jolie femme qui s’étire en se réveillant, lui indiquèrent une sorte de piste. Il la suivit, puis il la perdit. Le temps s’écoulait. Il entra plus avant dans le bois et parvint sur une espèce d’éminence. Un chasseur matinal qui passait au loin dans un sentier en sifflant l’air de Guillery lui donna l’idée de grimper sur un arbre. Quoique vieux il était agile. Il y avait là un hêtre de grande taille, digne de Tityre et de Boulatruelle. Boulatruelle monta sur le hêtre, le plus haut qu’il put.

L’idée était bonne. En explorant la solitude du côté où le bois est tout à fait enchevêtré et farouche, Boulatruelle aperçut tout à coup l’homme.

À peine l’eut-il aperçu qu’il le perdit de vue.

L’homme entra, ou plutôt se glissa, dans une clairière assez éloignée, masquée par de grands arbres, mais que Boulatruelle connaissait très bien, pour y avoir remarqué, près d’un gros tas de pierres meulières, un châtaignier malade pansé avec une plaque de zinc clouée à même sur l’écorce. Cette clairière est celle qu’on appelait autrefois le fonds Blaru. Le tas de pierres, destiné à on ne sait quel emploi, qu’on y voyait il y a trente ans, y est sans doute