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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Son autorité était grande. Enjolras était bien le chef de la barricade, mais Marius en était le sauveur.

— Je l’ordonne ! cria Enjolras.

— Je vous en prie, dit Marius.

Alors, remués par la parole de Combeferre, ébranlés par l’ordre d’Enjolras, émus par la prière de Marius, ces hommes héroïques commencèrent à se dénoncer les uns les autres. — C’est vrai, disait un jeune homme à un homme fait. Tu es père de famille. Va-t’en. — C’est plutôt toi, répondait l’homme, tu as tes deux sœurs que tu nourris. — Et une lutte inouïe éclatait. C’était à qui ne se laisserait pas mettre à la porte du tombeau.

— Dépêchons, dit Courfeyrac, dans un quart d’heure il ne serait plus temps.

— Citoyens, poursuivit Enjolras, c’est ici la république, et le suffrage universel règne. Désignez vous-mêmes ceux qui doivent s’en aller.

On obéit. Au bout de quelques minutes, cinq étaient unanimement désignés, et sortaient des rangs.

— Ils sont cinq ! s’écria Marius.

Il n’y avait que quatre uniformes.

— Eh bien, reprirent les cinq, il faut qu’un reste.

Et ce fut à qui resterait, et à qui trouverait aux autres des raisons de ne pas rester. La généreuse querelle recommença.

— Toi, tu as une femme qui t’aime. — Toi, tu as ta vieille mère. — Toi, tu n’as plus ni père ni mère, qu’est-ce que tes trois petits frères vont devenir ? — Toi, tu es père de cinq enfants. — Toi, tu as le droit de vivre, tu as dix-sept ans, c’est trop tôt.