Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/376

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
368
LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

étonnant comme je me sens en train d’être jeune. Je voudrais aller écouter des musettes dans les bois. Ces enfants-là qui réussissent à être beaux et contents, cela me grise. Je me marierais bellement si quelqu’un voulait. Il est impossible de s’imaginer que Dieu nous ait faits pour autre chose que ceci : idolâtrer, roucouler, adoniser, être pigeon, être coq, becqueter ses amours du matin au soir, se mirer dans sa petite femme, être fier, être triomphant, faire jabot ; voilà le but de la vie. Voilà, ne vous en déplaise, ce que nous pensions, nous autres, dans notre temps dont nous étions les jeunes gens. Ah ! vertu-bamboche ! qu’il y en avait donc de charmantes femmes, à cette époque-là, et des minois, et des tendrons ! J’y exerçais mes ravages. Donc aimez-vous. Si l’on ne s’aimait pas, je ne vois pas vraiment à quoi cela servirait qu’il y eût un printemps ; et, quant à moi, je prierais le bon Dieu de serrer toutes les belles choses qu’il nous montre, et de nous les reprendre, et de remettre dans sa boîte les fleurs, les oiseaux et les jolies filles. Mes enfants, recevez la bénédiction du vieux bonhomme.

La soirée fut vive, gaie, aimable. La belle humeur souveraine du grand-père donna l’ut à toute la fête, et chacun se régla sur cette cordialité presque centenaire. On dansa un peu, on rit beaucoup ; ce fut une noce bonne enfant. On eût pu y convier le bonhomme Jadis. Du reste il y était dans la personne du père Gillenormand.

Il y eut tumulte, puis silence.

Les mariés disparurent.

Un peu après minuit la maison Gillenormand devint un temple.