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LA DERNIÈRE GORGÉE DU CALICE.

entrevit dans l’avenir, pour lui-même, une destinée difforme.

— Dites tout, dites tout ! cria-t-il. Vous êtes le père de Cosette !

Et il fit deux pas en arrière avec un mouvement d’indicible horreur.

Jean Valjean redressa la tête dans une telle majesté d’attitude qu’il sembla grandir jusqu’au plafond.

— Il est nécessaire que vous me croyiez ici, monsieur ; et, quoique notre serment à nous autres ne soit pas reçu en justice…

Ici il fit un silence, puis, avec une sorte d’autorité souveraine et sépulcrale, il ajouta en articulant lentement et en pesant sur les syllabes :

— … Vous me croirez. Le père de Cosette, moi ! devant Dieu, non. Monsieur le baron Pontmercy, je suis un paysan de Faverolles. Je gagnais ma vie à émonder des arbres. Je ne m’appelle pas Fauchelevent, je m’appelle Jean Valjean. Je ne suis rien à Cosette. Rassurez-vous.

Marius balbutia :

— Qui me prouve ?…

— Moi. Puisque je le dis.

Marius regarda cet homme. Il était lugubre et tranquille. Aucun mensonge ne pouvait sortir d’un tel calme. Ce qui est glacé est sincère. On sentait le vrai dans cette froideur de tombe.

— Je vous crois, dit Marius.

Jean Valjean inclina la tête comme pour prendre acte, et continua :

— Que suis-je pour Cosette ? un passant. Il y a dix ans,