Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

main sera délivré, relevé et consolé ! Nous le lui affirmons sur cette barricade. D’où poussera-t-on le cri d’amour, si ce n’est du haut du sacrifice ? Ô mes frères, c’est ici le lieu de jonction de ceux qui pensent et de ceux qui souffrent ; cette barricade n’est faite ni de pavés, ni de poutres, ni de ferrailles ; elle est faite de deux monceaux, un monceau d’idées et un monceau de douleurs. La misère y rencontre l’idéal. Le jour y embrasse la nuit et lui dit : Je vais mourir avec toi et tu vas renaître avec moi. De l’étreinte de toutes les désolations jaillit la foi. Les souffrances apportent ici leur agonie, et les idées leur immortalité. Cette agonie et cette immortalité vont se mêler et composer notre mort. Frères, qui meurt ici meurt dans le rayonnement de l’avenir, et nous entrons dans une tombe toute pénétrée d’aurore.

Enjolras s’interrompit plutôt qu’il ne se tut ; ses lèvres remuaient silencieusement comme s’il continuait de se parler à lui-même, ce qui fit qu’attentifs, et pour tâcher de l’entendre encore, ils le regardèrent. Il n’y eut pas d’applaudissements ; mais on chuchota longtemps. La parole étant souffle, les frémissements d’intelligences ressemblent à des frémissements de feuilles.