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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

choux ou quelques pommes de terre avec un peu de lard, regarda dans l’assiette de terre brune et s’exclama :

— Mais vous n’avez pas mangé hier, pauvre cher homme !

— Si fait, répondit Jean Valjean.

— L’assiette est toute pleine.

— Regardez le pot à l’eau. Il est vide.

— Cela prouve que vous avez bu ; cela ne prouve pas que vous avez mangé.

— Eh bien, fit Jean Valjean, si je n’ai eu faim que d’eau ?

— Cela s’appelle la soif, et, quand on ne mange pas en même temps, cela s’appelle la fièvre.

— Je mangerai demain.

— Ou à la Trinité. Pourquoi pas aujourd’hui ? Est-ce qu’on dit : Je mangerai demain ! Me laisser tout mon plat sans y toucher ! Mes viquelottes qui étaient si bonnes !

Jean Valjean prit la main de la vieille femme :

— Je vous promets de les manger, lui dit-il de sa voix bienveillante.

— Je ne suis pas contente de vous, répondit la portière.

Jean Valjean ne voyait guère d’autre créature humaine que cette bonne femme. Il y a dans Paris des rues où personne ne passe et des maisons où personne ne vient. Il était dans une de ces rues-là et dans une de ces maisons-là.

Du temps qu’il sortait encore, il avait acheté à un chaudronnier pour quelques sous un petit crucifix de cuivre qu’il avait accroché à un clou en face de son lit. Ce gibet-là est toujours bon à voir.