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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

visions et les munitions, pas de fenêtres, des meurtrières, pas de porte, des échelles pour monter du sol à la première terrasse, et de la première à la seconde, et de la seconde à la troisième, des échelles pour descendre dans la cour intérieure, pas de portes aux chambres, des trappes, pas d’escaliers aux chambres, des échelles ; le soir on ferme les trappes, on retire les échelles, on braque des tromblons et des carabines aux meurtrières ; nul moyen d’entrer ; une maison le jour, une citadelle la nuit, huit cents habitants, voilà ce village. Pourquoi tant de précautions ? c’est que ce pays est dangereux ; il est plein d’anthropophages. Alors pourquoi y va-t-on ? c’est que ce pays est merveilleux ; on y trouve de l’or.

— Où voulez-vous en venir ? interrompit Marius qui du désappointement passait à l’impatience.

— À ceci, monsieur le baron. Je suis un ancien diplomate fatigué. La vieille civilisation m’a mis sur les dents. Je veux essayer des sauvages.

— Après ?

— Monsieur le baron, l’égoïsme est la loi du monde. La paysanne prolétaire qui travaille à la journée se retourne quand la diligence passe, la paysanne propriétaire qui travaille à son champ ne se retourne pas. Le chien du pauvre aboie après le riche, le chien du riche aboie après le pauvre. Chacun pour soi. L’intérêt, voilà le but des hommes. L’or, voilà l’aimant.

— Après ? Concluez.

— Je voudrais aller m’établir à la Joya. Nous sommes trois. J’ai mon épouse et ma demoiselle ; une fille qui est