Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
48
LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

rues paisibles, percées et bâties pour la circulation féconde des intérêts et des idées, et qui ne sont pas faites pour le roulement monstrueux des roues de la guerre.

La fixité des prunelles de tous les combattants sur l’extrémité de la rue devint farouche.

Une pièce de canon apparut.

Les artilleurs poussaient la pièce ; elle était dans son encastrement de tir ; l’avant-train avait été détaché ; deux soutenaient l’affût, quatre étaient aux roues, d’autres suivaient avec le caisson. On voyait la mèche allumée.

— Feu ! cria Enjolras.

Toute la barricade fit feu, la détonation fut effroyable ; une avalanche de fumée couvrit et effaça la pièce et les hommes ; après quelques secondes le nuage se dissipa, et le canon et les hommes reparurent ; les servants de la pièce achevaient de la rouler en face de la barricade lentement, correctement, et sans se hâter. Pas un n’était atteint. Puis le chef de pièce pesant sur la culasse pour élever le tir, se mit à pointer le canon avec la gravité d’un astronome qui braque une lunette.

— Bravo les canonniers ! cria Bossuet.

Et toute la barricade battit des mains.

Un moment après, carrément posée au beau milieu de la rue à cheval sur le ruisseau, la pièce était en batterie. Une gueule formidable était ouverte sur la barricade.

— Allons, gai ! fit Courfeyrac. Voilà le brutal. Après la chiquenaude, le coup de poing. L’armée étend vers nous sa grosse patte. La barricade va être sérieusement secouée. La fusillade tâte, le canon prend.