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Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/56

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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

canonniers se mirent à charger la pièce. Le chef de pièce saisit lui-même le boutefeu et l’approcha de la lumière.

— Baissez la tête, ralliez le mur, cria Enjolras, et tous à genoux le long de la barricade !

Les insurgés, épars devant le cabaret et qui avaient quitté leur poste de combat à l’arrivée de Gavroche, se ruèrent pêle-mêle vers la barricade ; mais avant que l’ordre d’Enjolras fût exécuté, la décharge se fit avec le râle effrayant d’un coup de mitraille. C’en était un en effet.

La charge avait été dirigée sur la coupure de la redoute, y avait ricoché sur le mur, et ce ricochet épouvantable avait fait deux morts et trois blessés.

Si cela continuait, la barricade n’était plus tenable. La mitraille entrait.

Il y eut une rumeur de consternation.

— Empêchons toujours le second coup, dit Enjolras.

Et, abaissant sa carabine, il ajusta le chef de pièce qui, en ce moment, penché sur la culasse du canon, rectifiait et fixait définitivement le pointage.

Ce chef de pièce était un beau sergent de canonniers, tout jeune, blond, à la figure très douce, avec l’air intelligent propre à cette arme prédestinée et redoutable qui, à force de se perfectionner dans l’horreur, doit finir par tuer la guerre.

Combeferre, debout près d’Enjolras, considérait ce jeune homme.

— Quel dommage ! dit Combeferre. La hideuse chose que ces boucheries ! Allons, quand il n’y aura plus de rois, il n’y aura plus de guerre. Enjolras, tu vises ce sergent, tu