Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
73
LA GUERRE ENTRE QUATRE MURS.

un genou à terre, épaula son arme, tira, tua le chef d’escadron, et se retourna en disant : En voilà encore un qui ne nous fera plus de mal. Il fut sabré. Rue Saint-Denis, une femme tirait sur la garde municipale de derrière une jalousie baissée. On voyait à chaque coup trembler les feuilles de la jalousie. Un enfant de quatorze ans fut arrêté rue de la Cossonnerie avec ses poches pleines de cartouches. Plusieurs postes furent attaqués. À l’entrée de la rue Bertin-Poirée, une fusillade très vive et tout à fait imprévue accueillit un régiment de cuirassiers, en tête duquel marchait le général Cavaignac de Baragne. Rue Planche-Mibray, on jeta du haut des toits sur la troupe de vieux tessons de vaisselle et des ustensiles de ménage ; mauvais signe ; et quand on rendit compte de ce fait au maréchal Soult, le vieux lieutenant de Napoléon devint rêveur, se rappelant le mot de Suchet à Saragosse : Nous sommes perdus quand les vieilles femmes nous vident leur pot de chambre sur la tête.

Ces symptômes généraux qui se manifestaient au moment où l’on croyait l’émeute localisée, cette fièvre de colère qui reprenait le dessus, ces flammèches qui volaient çà et là au-dessus de ces masses profondes de combustible qu’on nomme les faubourgs de Paris, tout cet ensemble inquiéta les chefs militaires. On se hâta d’éteindre ces commencements d’incendie. On retarda, jusqu’à ce que ces pétillements fussent étouffés, l’attaque des barricades Maubuée, de la Chanvrerie et de Saint-Merry, afin de n’avoir plus affaire qu’à elles, et de pouvoir tout finir d’un coup. Des colonnes furent lancées dans les rues en fermentation,