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LE LABEUR

liatt avait conscience d’un rejet sombre et d’une haine faisant effort pour le diminuer. Il ne tenait qu’à lui de fuir ; mais, puisqu’il restait, il avait affaire à l’hostilité impénétrable. Ne pouvant le mettre dehors, on le mettait dessous. On ? L’inconnu. Cela l’étreignait, le comprimait, lui ôtait la place, lui ôtait l’haleine. Il était meurtri par l’invisible. Chaque jour la vis mystérieuse se serrait d’un cran.

La situation de Gilliatt en ce milieu inquiétant ressemblait à un duel louche dans lequel il y a un traître.

La coalition des forces obscures l’environnait. Il sentait une résolution de se débarrasser de lui. C’est ainsi que le glacier chasse le bloc erratique.

Presque sans avoir l’air d’y toucher, cette coalition latente le mettait en haillons, en sang, aux abois, et, pour ainsi dire, hors de combat avant le combat. Il n’en travaillait pas moins, et sans relâche ; mais, à mesure que l’ouvrage se faisait, l’ouvrier se défaisait. On eût dit que cette fauve nature, redoutant l’âme, prenait le parti d’exténuer l’homme. Gilliatt tenait tête, et attendait. L’abîme commençait par l’user. Que ferait l’abîme ensuite ?

La double Douvre, ce dragon fait de granit et embusqué en pleine mer, avait admis Gilliatt. Elle l’avait laissé entrer et laissé faire. Cette acceptation ressemblait à l’hospitalité d’une gueule ouverte.

Le désert, l’étendue, l’espace où il y a pour l’homme tant de refus, l’inclémence muette des phénomènes suivant leurs cours, la grande loi générale implacable et passive, les flux et reflux, l’écueil, pléiade noire dont chaque pointe est une étoile à tourbillons, centre d’une irradiation