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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

notre esprit, et ôte l’envie de résister. Sa complexité fait qu’on regarde de tous côtés autour de soi ; il semble qu’on ait à craindre de brusques arrivées. On se rend, et on se garde. On est en présence de tout, d’où la soumission, et de plusieurs, d’où la défiance. L’unité de l’ombre contient un multiple. Multiple mystérieux, visible dans la matière, sensible dans la pensée. Cela fait silence, raison de plus d’être au guet.

La nuit, — celui qui écrit ceci l’a dit ailleurs, — c’est l’état propre et normal de la création spéciale dont nous faisons partie. Le jour, bref dans la durée comme dans l’espace, n’est qu’une proximité d’étoile.

Le prodige nocturne universel ne s’accomplit pas sans frottements, et tous les frottements d’une telle machine sont des contusions à la vie. Les frottements de la machine, c’est là ce que nous nommons le mal.

Nous sentons dans cette obscurité le mal, démenti latent à l’ordre divin, blasphème implicite du fait rebelle à l’idéal. Le mal complique d’on ne sait quelle tératologie à mille têtes le vaste ensemble cosmique. Le mal est présent à tout pour protester. Il est ouragan, et il tourmente la marche d’un navire ; il est chaos, et il entrave l’éclosion d’un monde. Le bien a l’unité, le mal a l’ubiquité. Le mal déconcerte la vie, qui est une logique. Il fait dévorer la mouche par l’oiseau et la planète par la comète. Le mal est une rature à la création.

L’obscurité nocturne est pleine d’un vertige. Qui l’approfondit s’y submerge et s’y débat. Pas de fatigue comparable à cet examen des ténèbres. C’est l’étude d’un effacement.