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LE LABEUR

l’océan, rencontrerait l’hiatus de l’écueil et, froncée aux deux Douvres, tours de l’entrée, piliers du détroit, enflée par le flux, enflée par l’empêchement, repoussée par le rocher, surmenée par la brise, ferait violence à l’écueil, pénétrerait avec toutes les torsions de l’obstacle subi et toutes les frénésies de la vague entravée, entre les deux murailles, y trouverait la panse et la Durande, et les briserait.

Contre cette éventualité, il fallait un bouclier. Gilliatt l’avait.

Il fallait empêcher la marée de pénétrer d’emblée, lui interdire de heurter tout en la laissant monter, lui barrer le passage sans lui refuser l’entrée, lui résister et lui céder, prévenir la compression du flot dans le goulet, qui était tout le danger, remplacer l’irruption par l’introduction, soutirer à la vague son emportement et sa brutalité, contraindre cette furie à la douceur. Il fallait substituer à l’obstacle qui irrite l’obstacle qui apaise.

Gilliatt, avec cette adresse qu’il avait, plus forte que la force, exécutant une manœuvre de chamois dans la montagne ou de sapajou dans la forêt, utilisant pour des enjambées oscillantes et vertigineuses la moindre pierre en saillie, sautant à l’eau, sortant de l’eau, nageant dans le remous, grimpant au rocher, une corde entre les dents, un marteau à la main, détacha le grelin qui maintenait suspendu et collé au soubassement de la petite Douvre le pan de muraille de l’avant de la Durande, façonna avec des bouts de haussière des espèces de gonds rattachant ce panneau aux gros clous plantés dans le granit, fit tourner sur ces gonds cette armature de planches pareille à une trappe d’écluse,