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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/175

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LA LUTTE

pour ainsi dire, adossé à l’écueil, face à face avec l’ouragan. Il avait barricadé le détroit, cette rue des vagues. C’était du reste la seule chose à faire. Il semble que l’océan, qui est un despote, puisse être, lui aussi, mis à la raison par des barricades. La panse pouvait être considérée comme en sûreté de trois côtés. Étroitement resserrée entre les deux façades intérieures de l’écueil, affourchée en patte d’oie, elle était abritée au nord par la petite Douvre, au sud par la grande, escarpements sauvages, plus habitués à faire des naufrages qu’à en empêcher. À l’ouest elle était protégée par le tablier de poutres amarré et cloué aux rochers, barrage éprouvé qui avait vaincu le rude flux de la haute mer, véritable porte de citadelle ayant pour chambranles les colonnes mêmes de l’écueil, les deux Douvres. Rien à craindre de ce côté-là. C’est à l’est qu’était le danger.

À l’est il n’y avait que le brise-lames. Un brise-lames est un appareil de pulvérisation. Il lui faut au moins deux claires-voies. Gilliatt n’avait eu le temps que d’en construire une. Il bâtissait la seconde sous la tempête même.

Heureusement le vent arrivait du nord-ouest. La mer fait des maladresses. Ce vent, qui est l’ancien vent de galerne, avait peu d’effet sur les roches Douvres. Il assaillait l’écueil en travers, et ne poussait le flot ni sur l’un, ni sur l’autre des deux goulets du défilé, de sorte qu’au lieu d’entrer dans une rue il se heurtait à une muraille. L’orage avait mal attaqué.

Mais les attaques du vent sont courbes, et il fallait s’attendre à quelque virement subit. Si ce virement se faisait à l’est avant que la deuxième claire-voie du brise-lames fût