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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

un forçat n’eût pu s’en servir pour sa fuite ni un oiseau pour son nid. Au sommet il y avait, comme sur le rocher l’Homme, une plate-forme ; seulement cette plate-forme était inaccessible.

On pouvait monter sur la petite Douvre, mais non s’y maintenir ; on pouvait séjourner sur la grande, mais non y monter.

Gilliatt, le premier coup d’œil jeté, revint à la panse, la déchargea sur la plus large des corniches à fleur d’eau, fit de tout ce chargement, fort succinct, une sorte de ballot qu’il noua dans un prélart, y ajusta une élingue avec sa boucle de hissement, poussa ce ballot dans un recoin de roche où le flot ne pouvait l’atteindre, puis des pieds et des mains, de saillie en saillie, étreignant la petite Douvre, se cramponnant aux moindres stries, il monta jusqu’à la Durande échouée en l’air.

Parvenu à la hauteur des tambours, il sauta sur le pont.

Le dedans de l’épave était lugubre.

La Durande offrait toutes les traces d’une voie de fait épouvantable. C’était le viol effrayant de l’orage. La tempête se comporte comme une bande de pirates. Rien ne ressemble à un attentat comme un naufrage. La nuée, le tonnerre, la pluie, les souffles, les flots, les roches, ce tas de complices est horrible.

On rêvait sur le pont désemparé quelque chose comme le trépignement furieux des esprits de la mer. Il y avait partout des marques de rage. Les torsions étranges de certaines ferrures indiquaient les saisissements forcenés du