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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/212

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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Elle a un aspect de scorbut et de gangrène ; c’est de la maladie arrangée en monstruosité.

Elle est inarrachable. Elle adhère étroitement à sa proie. Comment ? Par le vide. Les huit antennes, larges à l’origine, vont s’effilant et s’achèvent en aiguilles. Sous chacune d’elles s’allongent parallèlement deux rangées de pustules décroissantes, les grosses près de la tête, les petites à la pointe. Chaque rangée est de vingt-cinq ; il y a cinquante pustules par antenne, et toute la bête en a quatre cents. Ces pustules sont des ventouses.

Ces ventouses sont des cartilages cylindriques, cornés, livides. Sur la grande espèce, elles vont diminuant du diamètre d’une pièce de cinq francs à la grosseur d’une lentille. Ces tronçons de tubes sortent de l’animal et y rentrent. Ils peuvent s’enfoncer dans la proie de plus d’un pouce.

Cet appareil de succion a toute la délicatesse d’un clavier. Il se dresse, puis se dérobe. Il obéit à la moindre intention de l’animal. Les sensibilités les plus exquises n’égalent pas la contractilité de ces ventouses, toujours proportionnée aux mouvements intérieurs de la bête et aux incidents extérieurs. Ce dragon est une sensitive.

Ce monstre est celui que les marins appellent poulpe, que la science appelle céphalopode, et que la légende appelle kraken. Les matelots anglais l’appellent Devil-Fish, le Poisson-Diable. Ils l’appellent aussi Blood-Sucker, Suceur de sang. Dans les îles de la Manche on le nomme la pieuvre.

Il est très rare à Guernesey, très petit à Jersey, très gros et assez fréquent à Serk.

Une estampe de l’édition de Buffon par Sonnini repré-