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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

expression. Elle se confond avec la pénombre. Elle a l’air d’un pli de la vague. Elle ressemble à tout, excepté à quelque chose de vivant.

La pieuvre, c’est l’hypocrite. On n’y fait pas attention ; brusquement, elle s’ouvre.

Une viscosité qui a une volonté, quoi de plus effroyable ! De la glu pétrie de haine.

C’est dans le plus bel azur de l’eau limpide que surgit cette hideuse étoile vorace de la mer. Elle n’a pas d’approche, ce qui est terrible. Presque toujours, quand on la voit, on est pris.

La nuit, pourtant, et particulièrement dans la saison du rut, elle est phosphorescente. Cette épouvante a ses amours. Elle attend l’hymen. Elle se fait belle, elle s’allume, elle s’illumine, et, du haut de quelque rocher, on peut l’apercevoir au-dessous de soi dans les profondes ténèbres épanouie en une irradiation blême, soleil spectre.

La pieuvre nage ; elle marche aussi. Elle est un peu poisson, ce qui ne l’empêche pas d’être un peu reptile. Elle rampe sur le fond de la mer. En marche elle utilise ses huit pattes. Elle se traîne à la façon de la chenille arpenteuse.

Elle n’a pas d’os, elle n’a pas de sang, elle n’a pas de chair. Elle est flasque. Il n’y a rien dedans. C’est une peau. On peut retourner ses huit tentacules du dedans au dehors comme des doigts de gants.

Elle a un seul orifice, au centre de son rayonnement. Cet hiatus unique, est-ce l’anus ? est-ce la bouche ? C’est les deux.