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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/218

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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

tain que la pieuvre à une extrémité prouve Satan à l’autre.

Il est certain que le méchant à un bout prouve à l’autre bout la méchanceté.

Toute bête mauvaise, comme toute intelligence perverse, est sphinx.

Sphinx terrible proposant l’énigme terrible. L’énigme du mal.

C’est cette perfection du mal qui a fait pencher parfois de grands esprits vers la croyance au dieu double, vers le redoutable bi-frons des manichéens.

Une soie chinoise, volée dans la dernière guerre au palais de l’empereur de la Chine, représente le requin qui mange le crocodile qui mange le serpent qui mange l’aigle qui mange l’hirondelle qui mange la chenille.

Toute la nature que nous avons sous les yeux est mangeante et mangée. Les proies s’entre-mordent.

Cependant des savants qui sont aussi des philosophes, et par conséquent bienveillants pour la création, trouvent ou croient trouver l’explication. Le but final frappe, entre autres, Bonnet de Genève, ce mystérieux esprit exact, qui fut opposé à Buffon, comme plus tard Geoffroy Saint-Hilaire l’a été à Cuvier. L’explication serait ceci : la mort partout exige l’ensevelissement partout. Les voraces sont des ensevelisseurs.

Tous les êtres rentrent les uns dans les autres. Pourriture, c’est nourriture. Nettoyage effrayant du globe. L’homme, carnassier, est, lui aussi, un enterreur. Notre vie est faite de mort. Telle est la loi terrifiante. Nous sommes sépulcres.