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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

On ne coupe pas les antennes de la pieuvre ; c’est un cuir impossible à trancher, il glisse sous la lame ; d’ailleurs la superposition est telle qu’une entaille à ces lanières entamerait votre chair.

Le poulpe est formidable ; pourtant il y a une manière de s’en servir. Les pêcheurs de Serk la connaissent ; qui les a vus exécuter en mer de certains mouvements brusques, le sait. Les marsouins la connaissent aussi ; ils ont une façon de mordre la sèche qui lui coupe la tête. De là tous ces calmars, toutes ces sèches et tous ces poulpes sans tête qu’on rencontre au large.

Le poulpe, en effet, n’est vulnérable qu’à la tête.

Gilliatt ne l’ignorait point.

Il n’avait jamais vu de pieuvre de cette dimension. Du premier coup, il se trouvait pris par la grande espèce. Un autre se fût troublé.

Pour la pieuvre comme pour le taureau il y a un moment qu’il faut saisir ; c’est l’instant où le taureau baisse le cou, c’est l’instant où la pieuvre avance la tête ; instant rapide. Qui manque ce joint est perdu.

Tout ce que nous venons de dire n’avait duré que quelques minutes. Gilliatt pourtant sentait croître la succion des deux cent cinquante ventouses.

La pieuvre est traître. Elle tâche de stupéfier d’abord sa proie. Elle saisit, puis attend le plus qu’elle peut.

Gilliatt tenait son couteau. Les succions augmentaient.

Il regardait la pieuvre, qui le regardait.

Tout à coup la bête détacha du rocher sa sixième antenne, et, la lançant sur Gilliatt, tâcha de lui saisir le bras gauche.