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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

pourrait nommer la rencontre des hypocrisies. Il y avait eu, au fond de l’abîme, abordage entre ces deux existences faites d’attente et de ténèbres, et l’une, qui était la bête, avait exécuté l’autre, qui était l’âme. Sinistres justices.

Le crabe se nourrit de charogne, la pieuvre se nourrit de crabes. La pieuvre arrête au passage un animal nageant, une loutre, un chien, un homme si elle peut, boit le sang, et laisse au fond de l’eau le corps mort. Les crabes sont les scarabées nécrophores de la mer. La chair pourrissante les attire ; ils viennent ; ils mangent le cadavre, la pieuvre les mange. Les choses mortes disparaissent dans le crabe, le crabe disparaît dans la pieuvre. Nous avons déjà indiqué cette loi.

Clubin avait été l’appât de la pieuvre.

La pieuvre l’avait retenu et noyé ; les crabes l’avaient dévoré. Un flot quelconque l’avait poussé dans la cave, au fond de l’anfractuosité où Gilliatt l’avait trouvé.

Gilliatt s’en revint, furetant dans les rochers, cherchant des oursins et des patelles, ne voulant plus de crabes. Il lui eût semblé manger de la chair humaine.

Du reste, il ne songeait plus qu’à souper le mieux possible avant de partir. Rien désormais ne l’arrêtait. Les grandes tempêtes sont toujours suivies d’un calme qui dure plusieurs jours quelquefois. Nul danger maintenant du côté de la mer. Gilliatt était résolu à partir le lendemain. Il importait de garder pendant la nuit, à cause de la marée, le barrage ajusté entre les Douvres ; mais Gilliatt comptait défaire au point du jour ce barrage, pousser la panse hors des Douvres, et mettre à la voile pour Saint-Sampson. La