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NUIT ET LUNE

peut s’appeler méditation, au fond d’une sorte de précipice trouble. Il lui échappait des paroles navrées comme celle-ci : — Il ne me reste plus qu’à demander là-haut mon billet de sortie.

Notons une contradiction dans cette nature, complexe comme la mer dont Lethierry était, pour ainsi dire, le produit ; mess Lethierry ne priait point.

Être impuissant, c’est une force. En présence de nos deux grandes cécités, la destinée et la nature, c’est dans son impuissance que l’homme a trouvé le point d’appui, la prière.

L’homme se fait secourir par l’effroi ; il demande aide à sa crainte ; l’anxiété, c’est un conseil d’agenouillement.

La prière, énorme force propre à l’âme et de même espèce que le mystère. La prière s’adresse à la magnanimité des ténèbres ; la prière regarde le mystère avec les yeux mêmes de l’ombre, et, devant la fixité puissante de ce regard suppliant, on sent un désarmement possible de l’inconnu.

Cette possibilité entrevue est déjà une consolation.

Mais Lethierry ne priait pas.

Du temps qu’il était heureux, Dieu existait pour lui, on pourrait dire en chair et en os ; Lethierry lui parlait, lui engageait sa parole, lui donnait presque de temps en temps une poignée de main. Mais dans le malheur de Lethierry, phénomène du reste assez fréquent, Dieu s’était éclipsé. Cela arrive quand on s’est fait un bon Dieu qui est un bonhomme.

Il n’y avait pour Lethierry, dans l’état d’âme où il était,