Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome II (1892).djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
LA RECONNAISSANCE EN PLEIN DESPOTISME

ma gueuse de machine ! En pleine mer ! Dans ce guet-apens d’écueil ! J’ai vu des choses très farces dans ma vie. Je n’ai rien vu de tel. J’ai vu les parisiens qui sont des satans. Je t’en fiche qu’ils feraient ça. C’est pis que la Bastille. J’ai vu les gauchos labourer dans les pampas, ils ont pour charrue une branche d’arbre qui a un coude et pour herse un fagot d’épines tiré avec une corde de cuir, ils récoltent avec ça des grains de blé gros comme des noisettes. C’est de la gnognotte à côté de toi. Tu as fait là un miracle, un pour de vrai. Ah ! Le gredin ! Saute-moi donc au cou. Et on te devra tout le bonheur du pays. Vont-ils bougonner dans Saint-Sampson ! Je vais m’occuper tout de suite de refaire le bachot. C’est étonnant, la bielle n’a rien de cassé. Messieurs, il est allé aux Douvres. Je dis les Douvres. Il est allé tout seul. Les Douvres ! Un caillou qu’il n’y a rien de pire. Tu sais, t’a-t-on dit ? C’est prouvé, ça a été fait exprès, Clubin a coulé Durande pour me filouter de l’argent qu’il avait à m’apporter. Il a soûlé Tangrouille. C’est long, je te raconterai un autre jour la piraterie. Moi, affreuse brute, j’avais confiance dans Clubin. Il s’y est pincé le scélérat, car il n’a pas dû en sortir. Il y a un Dieu, canaille ! Vois-tu, Gilliatt, tout de suite, dare, dare, les fers au feu, nous allons rebâtir Durande. Nous lui donnerons vingt pieds de plus. On fait maintenant les bateaux plus longs. J’achèterai du bois à Dantzick et à Brême. À présent que j’ai la machine, on me fera crédit. La confiance reviendra.

Mess Lethierry s’arrêta, leva les yeux avec ce regard qui voit le ciel à travers le plafond, et dit entre ses dents : Il y en a un.