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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

On apercevait en rade le Cashmere à l’ancre, qui, ne devant partir qu’à midi, ne faisait encore aucune manœuvre d’appareillage.

Un passant qui, de quelqu’un des sentiers-escaliers de la falaise, eût prêté l’oreille, eût entendu un murmure de paroles dans le Havelet, et, s’il se fût penché par-dessus les surplombs, il eût vu, à quelque distance du bateau, dans un recoin de roches et de branches où ne pouvait pénétrer le regard du batelier, deux personnes, un homme et une femme, Ebenezer et Déruchette.

Ces réduits obscurs du bord de la mer, qui tentent les baigneuses, ne sont pas toujours aussi solitaires qu’on le croit. On y est quelquefois observé et écouté. Ceux qui s’y réfugient et qui s’y abritent peuvent être aisément suivis à travers les épaisseurs des végétations, et grâce à la multiplicité et à l’enchevêtrement des sentiers. Les granits et les arbres, qui cachent l’aparté, peuvent cacher aussi un témoin.

Déruchette et Ebenezer étaient debout en face l’un de l’autre, le regard dans le regard ; ils se tenaient les mains. Déruchette parlait. Ebenezer se taisait. Une larme amassée et arrêtée entre ses cils hésitait, et ne tombait pas.

La désolation et la passion étaient empreintes sur le front religieux d’Ebenezer. Une résignation poignante s’y ajoutait, résignation hostile à la foi, quoique venant d’elle. Sur ce visage, simplement angélique jusqu’alors, il y avait un commencement d’expression fatale. Celui qui n’avait encore médité que le dogme se mettait à méditer le sort, méditation malsaine au prêtre. La foi s’y décompose. Plier sous