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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

Le vent est plein de ce mystère. De même la mer. Elle aussi est compliquée ; sous ses vagues d’eau, qu’on voit, elle a ses vagues de forces, qu’on ne voit pas. Elle se compose de tout. De tous les pêle-mêle, l’océan est le plus indivisible et le plus profond.

Essayez de vous rendre compte de ce chaos, si énorme qu’il aboutit au niveau. Il est le récipient universel, réservoir pour les fécondations, creuset pour les transformations. Il amasse, puis disperse, il accumule, puis ensemence ; il dévore, puis crée. Il reçoit tous les égouts de la terre, et il les thésaurise. Il est solide dans la banquise, liquide dans le flot, fluide dans la nuée, invisible dans le vent, impalpable dans l’effluve. Comme matière il est masse, et comme force il est abstraction. Il égalise et marie les phénomènes. Il se simplifie par l’infini dans la combinaison. C’est à force de mélange et de trouble qu’il arrive à la transparence. La diversité soluble se fond dans son unité. Il a tant d’éléments qu’il est l’identité. Une de ses gouttes, c’est tout lui. Parce qu’il est plein de tempêtes, il devient l’équilibre. Platon voyait danser les sphères ; chose étrange à dire, mais réelle, dans la colossale évolution terrestre autour du soleil, l’océan, avec son flux et reflux, est le balancier du globe.

Dans un phénomène de la mer, tous les phénomènes sont présents. La mer est aspirée par le tourbillon comme par un siphon ; un orage est un corps de pompe ; la foudre vient de l’eau comme de l’air ; dans les navires on sent de sourdes secousses, puis une odeur de soufre sort du puits des chaînes. L’océan bout. Le diable a mis la mer dans sa chaudière, disait Ruyter. En de certaines tempêtes qui caractérisent le remous des saisons et les entrées en équi-