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DÉPART DU « CASHMERE »

son mari ; puis la désolation, l’ange ouvrant ses ailes et prêt à partir ; maintenant c’était la joie, une joie inouïe, avec un fond indéchiffrable ; le monstre lui donnant l’ange, à elle Déruchette ; le mariage sortant de l’agonie ; ce Gilliatt, la catastrophe d’hier, le salut d’aujourd’hui. Elle ne se rendait compte de rien. Il était évident que depuis le matin Gilliatt n’avait eu d’autre occupation que de les marier ; il avait tout fait ; il avait répondu pour mess Lethierry, vu le doyen, demandé la licence, signé la déclaration voulue ; voilà comment le mariage avait pu s’accomplir. Mais Déruchette ne le comprenait pas ; d’ailleurs lors même qu’elle eût compris comment, elle n’eût pas compris pourquoi.

Fermer les yeux, rendre grâces mentalement, oublier la terre et la vie, se laisser emporter au ciel par ce bon démon, il n’y avait que cela à faire. Un éclaircissement était trop long, un remercîment était trop peu. Elle se taisait dans ce doux abrutissement du bonheur.

Un peu de pensée leur restait, assez pour se conduire. Sous l’eau il y a des parties de l’éponge qui demeurent blanches. Ils avaient juste la quantité de lucidité qu’il fallait pour distinguer la mer de la terre et le Cashmere de tout autre navire.

En quelques minutes, ils furent au Havelet.

Ebenezer entra le premier dans le bateau. Au moment où Déruchette allait le suivre, elle eut la sensation de sa manche doucement retenue. C’était Gilliatt qui avait posé un doigt sur un pli de sa robe.

— Madame, dit-il, vous ne vous attendiez pas à partir. J’ai pensé que vous auriez peut-être besoin de robes et de