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L’ÉCUEIL

dans le vide une sorte de traverse horizontale qui était comme un pont entre leurs sommets. La traverse, si informe de loin qu’il était impossible de deviner ce que c’était, faisait corps avec les deux jambages. Cela ressemblait à une porte. À quoi bon une porte dans cette ouverture de toutes parts qui est la mer ? On eût dit un dolmen titanique planté là, en plein océan, par une fantaisie magistrale, et bâti par des mains qui ont l’habitude de proportionner leurs constructions à l’abîme. Cette silhouette farouche se dressait sur le clair du ciel.

La lueur du matin grandissait à l’est ; la blancheur de l’horizon augmentait la noirceur de la mer. En face, de l’autre côté, la lune se couchait.

Ces deux piliers, c’étaient les Douvres. L’espèce de masse emboîtée entre eux comme une architrave entre deux chambranles, c’était la Durande.

Cet écueil, tenant ainsi sa proie et la faisant voir, était terrible ; les choses ont parfois vis-à-vis de l’homme une ostentation sombre et hostile. Il y avait du défi dans l’attitude de ces rochers. Cela semblait attendre.

Rien d’altier et d’arrogant comme cet ensemble : le vaisseau vaincu, l’abîme maître. Les deux rochers, tout ruisselants encore de la tempête de la veille, semblaient des combattants en sueur. Le vent avait molli, la mer se plissait paisiblement, on devinait à fleur d’eau quelques brisants où les panaches d’écume retombaient avec grâce, il venait du large un murmure semblable à un bruit d’abeilles. Tout était de niveau, hors les deux Douvres, debout et droites comme deux colonnes noires. Elles étaient jusqu’à