une serre de vautour. Son crâne était bas au sommet et large aux tempes. Son oreille, difforme et encombrée de broussailles, semblait dire : ne parlez pas à la bête qui est dans cet antre.
Un beau jour, à Guernesey, on ne sut plus où était Rantaine.
L’associé de Lethierry avait « filé », laissant vide la caisse de l’association.
Dans cette caisse il y avait de l’argent à Rantaine sans doute, mais il y avait aussi cinquante mille francs à Lethierry.
Lethierry, dans son métier de caboteur et de charpentier de navires, avait, en quarante ans d’industrie et de probité, gagné cent mille francs. Rantaine lui en emporta la moitié.
Lethierry, à moitié ruiné, ne fléchit pas et songea immédiatement à se relever. On ruine la fortune des gens de cœur, non leur courage. On commençait alors à parler du bateau à vapeur. L’idée vint à Lethierry d’essayer la machine Fulton, si contestée, et de relier par un bateau à feu l’archipel normand à la France. Il joua son vatout sur cette idée. Il y consacra son reste. Six mois après la fuite de Rantaine, on vit sortir du port stupéfait de Saint-Sampson un navire à fumée, faisant l’effet d’un incendie en mer, le premier steamer qui ait navigué dans la Manche.
Ce bateau, que la haine et le dédain de tous gratifièrent immédiatement du sobriquet « la galiote à Lethierry », s’annonça comme devant faire le service régulier de Guernesey à Saint-Malo.