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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

pas laide. Ces noms dangereux n’avaient point mal tourné. Douce, non mariée, avait un « galant ». Dans les îles de la Manche le mot est usité ; la chose aussi. Ces deux filles avaient ce qu’on pourrait appeler le service créole, une sorte de lenteur propre à la domesticité normande dans l’archipel. Grace, coquette et jolie, considérait sans cesse l’horizon avec une inquiétude de chat. Cela tenait à ce qu’ayant, comme Douce, un galant, elle avait, de plus, disait-on, un mari matelot, dont elle craignait le retour. Mais cela ne nous regarde pas. La nuance entre Grace et Douce, c’est que, dans une maison moins austère et moins innocente, Douce fût restée la servante et Grace fût devenue la soubrette. Les talents possibles de Grace se perdaient avec une fille candide comme Déruchette. Du reste, les amours de Douce et de Grace étaient latents. Rien n’en revenait à mess Lethierry, et rien n’en rejaillissait sur Déruchette.

La salle basse du rez-de-chaussée, halle à cheminée entourée de bancs et de tables, avait, au siècle dernier, servi de lieu d’assemblée à un conventicule de réfugiés français protestants. Le mur de pierre nue avait pour tout luxe un cadre de bois noir où s’étalait une pancarte de parchemin ornée des prouesses de Bénigne Bossuet, évêque de Meaux. Quelques pauvres diocésains de cet aigle, persécutés par lui lors de la révocation de l’édit de Nantes, et abrités à Guernesey, avaient accroché ce cadre à ce mur pour porter témoignage. On y lisait, si l’on parvenait à déchiffrer une écriture lourde et une encre jaunie, les faits peu connus que voici : — Le 29 octobre 1685, démolition des temples de Morcerf et de Nanteuil, demandée au Roy par