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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

vieilles baraques du moyen-âge normand ont des profils presque humains. De masure à sorcière il n’y a pas loin. Leurs étages rentrants, leurs surplombs, leurs auvents circonflexes et leurs broussailles de ferrailles simulent des lèvres, des mentons, des nez et des sourcils. La lucarne est l’œil, borgne. La joue, c’est la muraille, ridée et dartreuse. Elles se touchent du front comme si elles complotaient un mauvais coup. Tous ces mots de l’ancienne civilisation, coupe-gorge, coupe-trogne, coupe-gueule, se rattachent à cette architecture.

Une des maisons de la ruelle Coutanchez, la plus grande, la plus fameuse ou la plus famée, se nommait la Jacressarde.

La Jacressarde était le logis de ceux qui ne logent pas. Il y a, dans toutes les villes, et particulièrement dans les ports de mer, au-dessous de la population, un résidu. Des gens sans aveu, à ce point que souvent la justice elle-même ne parvient pas à leur en arracher un, des écumeurs d’aventures, des chasseurs d’expédients, des chimistes de l’espèce escroc, remettant toujours la vie au creuset, toutes les formes du haillon et toutes les manières de le porter, les fruits secs de l’improbité, les existences en banqueroute, les consciences qui ont déposé leur bilan, ceux qui ont avorté dans l’escalade et le bris de clôture (car les grands faiseurs d’effractions planent et restent en haut), les ouvriers et les ouvrières du mal, les drôles et les drôlesses, les scrupules déchirés et les coudes percés, les coquins aboutis à l’indigence, les méchants mal récompensés, les vaincus du duel social, les affamés qui ont été les dévorants, les gagne-