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LE TIMONIER IVRE ET LE CAPITAINE SOBRE

paroisses dans l’élection de Valognes. Un abbé Trigan a fait l’Histoire ecclésiastique de Normandie ; ce chroniqueur Trigan était curé de la seigneurie de Digoville. Le sire De Digoville, s’il était tombé en roture, se nommerait Digouille.

Tangrouille, ce Tancarville probable et ce Montmorency possible, avait cette antique qualité de gentilhomme, défaut grave pour un timonier : il s’enivrait.

Sieur Clubin s’était obstiné à le garder. Il en avait répondu à mess Lethierry.

Le timonier Tangrouille ne quittait jamais le navire et couchait à bord.

La veille du départ, quand sieur Clubin était venu, à une heure assez avancée de la soirée, faire la visite du bâtiment, Tangrouille était dans son branle et dormait.

Dans la nuit Tangrouille s’était réveillé. C’était son habitude nocturne. Tout ivrogne qui n’est pas son maître, a sa cachette. Tangrouille avait la sienne, qu’il nommait sa cambuse. La cambuse secrète de Tangrouille était dans la cale-à-l’eau. Il l’avait mise là pour la rendre invraisemblable. Il croyait être sûr que cette cachette n’était connue que de lui seul. Le capitaine Clubin, étant sobre, était sévère. Le peu de rhum et de gin que le timonier pouvait dérober au guet vigilant du capitaine, il le tenait en réserve dans ce coin mystérieux de la cale-à-l’eau, au fond d’une baille de sonde, et presque toutes les nuits il avait un rendez-vous amoureux avec cette cambuse. La surveillance était rigoureuse, l’orgie était pauvre, et d’ordinaire les excès nocturnes de Tangrouille se bornaient à deux ou trois gorgées, avalées furtivement. Parfois même la cambuse était