Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/398

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
392
LES TRAVAILLEURS DE LA MER

homme de plus était une surcharge et pouvait la faire sombrer, et que c’était là surtout ce qui avait dû déterminer Clubin à rester sur l’épave ; mais qu’une fois son devoir rempli, un navire sauveteur se présentant, Clubin n’avait, à coup sûr, fait nulle difficulté d’en profiter. On est un héros, mais on n’est pas un niais. Un suicide eût été d’autant plus absurde, que Clubin était irréprochable. Le coupable c’était Tangrouille, et non Clubin. Tout ceci était concluant ; le patron du Shealtiel avait visiblement raison, et tout le monde s’attendait à voir Clubin reparaître d’un moment à l’autre. On préméditait de le porter en triomphe.

Deux certitudes ressortaient du récit du patron, Clubin sauvé et la Durande perdue.

Quant à la Durande, il fallait en prendre son parti, la catastrophe était irrémédiable. Le patron du Shealtiel avait assisté à la dernière phase du naufrage. Le rocher fort aigu où la Durande était en quelque sorte clouée avait tenu bon toute la nuit, et avait résisté au choc de la tempête comme s’il voulait garder l’épave pour lui ; mais au matin, à l’instant où le Shealtiel, constatant qu’il n’y avait personne à sauver, allait s’éloigner de la Durande, il était survenu un de ces paquets de mer qui sont comme les derniers coups de colère des tempêtes. Ce flot avait furieusement soulevé la Durande, l’avait arrachée du brisant, et, avec la vitesse et la rectitude d’une flèche lancée, l’avait jetée entre les deux roches Douvres. On avait entendu un craquement « diabolique », disait le patron. La Durande, portée par la lame à une certaine hauteur, s’était engagée dans l’entre-deux des roches jusqu’au maître-couple. Elle était de nou-