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Page:Hugo - Les Travailleurs de la mer Tome I (1891).djvu/401

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IMPRUDENCE DE FAIRE DES QUESTIONS

La machine était l’essentiel. Refaire le navire était possible, refaire la machine non. Cette machine était unique. Pour en fabriquer une pareille, l’argent manquerait, l’ouvrier manquerait encore plus. On rappelait que le constructeur de la machine était mort. Elle avait coûté quarante mille francs. Personne ne risquerait désormais sur une telle éventualité un tel capital ; d’autant plus que voilà qui était jugé, les navires à vapeur se perdaient comme les autres ; l’accident actuel de la Durande coulait à fond tout son succès passé. Pourtant il était déplorable de penser qu’à l’heure qu’il était, cette mécanique était encore entière et en bon état, et qu’avant cinq ou six jours elle serait probablement mise en pièces comme le navire. Tant qu’elle existait, il n’y avait, pour ainsi dire, pas de naufrage. La perte seule de la machine serait irrémédiable. Sauver la machine, ce serait réparer le désastre.

Sauver la machine, c’était facile à dire. Mais qui s’en chargerait ? Est-ce que c’était possible ? Faire et exécuter c’est deux, et la preuve, c’est qu’il est aisé de faire un rêve et difficile de l’exécuter. Or si jamais un rêve avait été impraticable et insensé, c’était celui-ci : sauver la machine échouée sur les Douvres. Envoyer travailler sur ces roches un navire et un équipage serait absurde ; il n’y fallait pas songer. C’était la saison des coups de mer ; à la première bourrasque les chaînes des ancres seraient sciées par les crêtes sous-marines des brisants, et le navire se fracasserait à l’écueil. Ce serait envoyer un deuxième naufrage au secours du premier. Dans l’espèce de trou du plateau supérieur où s’était abrité le naufragé légendaire mort de faim,