Page:Hugo - Lucrèce Borgia, Dessau, 1833.djvu/20

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alie, un coeur noble et pur, un cœur plein de hautes et de mâles vertus, un cœur d’ange sous une cuirasse de soldat ; s’il ne me restait, à moi, pauvre femme, haïe, méprisée, abhorrée, maudite des hommes, damnée du ciel, misérable toute-puissante que je suis ; s’il ne me restait dans l’état de détresse où mon âme agonise douloureusement qu’une idée, qu’une espérance, qu’une ressource, celle de mériter et d’obtenir avant ma mort une petite place, Gubetta, un peu de tendresse, un peu d’estime dans ce cœur si fier et si pur ; si je n’avais d’autre pensée que l’ambition de le sentir battre un jour joyeusement et librement sur le mien ; comprendrais-tu alors, dis, Gubetta, pourquoi j’ai hâte de racheter mon passé, de laver ma renommée, d’effacer les taches de toutes sortes que j’ai partout sur moi, et de changer en une idée de gloire, de pénitence et de vertu, l’idée infâme et sanglante que l’Italie attache à mon nom ?

Gubetta. Mon dieu, madame ! Sur quel hermite avez-vous marché aujourd’hui ?

Dona Lucrezia. Ne ris pas. Il y a long-temps déjà que j’ai ces pensées sans te les dire. Lorsqu’on est entraîné par un courant de crimes, on ne s’arrête pas quand on veut. Les deux anges luttaient en moi, le bon et le mauvais ; mais je crois que le bon va enfin l’emporter.