Page:Hugo - Ruy Blas, édition 1839.djvu/211

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Relevant la tête et comme égaré, regardant la fiole.

Nous laisser en paix ! Dieu !L’homme, qui m’a vendu
Ceci, me demandait quel jour du mois nous sommes.
Je ne sais pas. J’ai mal dans la tête. Les hommes
Sont méchants. Vous mourez, personne ne s’émeut.
Je souffre ! — Elle m’aimait ! — Et dire qu’on ne peut
Jamais rien ressaisir d’une chose passée !
Je ne la verrai plus ! — Sa main que j’ai pressée,
Sa bouche qui toucha mon front… — Ange adoré !
Pauvre ange ! — Il faut mourir, mourir désespéré !
Sa robe où tous les plis contenaient de la grâce,
Son pied qui fait trembler mon âme quand il passe,
Son œil où s’enivraient mes yeux irrésolus,
Son sourire, sa voix… — Je ne la verrai plus !
Je ne l’entendrai plus ! — Enfin c’est donc possible ?
Jamais !

Il avance avec angoisse sa main vers la fiole ; au moment où il la saisit convulsivement, la porte du fond s’ouvre. La reine paraît, vêtue de blanc, avec une mante de couleur sombre, dont le capuchon, rejeté sur ses épaules, laisse voir sa tête pâle. Elle tient une lanterne sourde à la main, elle la pose à terre, et marche rapidement vers Ruy Blas.