Page:Hugo - Ruy Blas, édition 1839.djvu/233

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Le double aspect de cette chaste figure a été reproduit par mademoiselle Louise Beaudouin avec une intelligence rare et exquise. Au cinquième acte, Marie de Neubourg repousse le laquais et s’attendrit sur le mourant ; reine devant la faute, elle redevient femme devant l’expiation. Aucune de ces nuances n’a échappé à mademoiselle Beaudouin qui s’est élevée très-haut dans ce rôle. Elle a eu la pureté, la dignité et le pathétique.

Quant à M. Frédérick Lemaître, qu’en dire ? Les acclamations enthousiastes de la foule le saisissent à son entrée en scène et le suivent jusqu’après le dénoûment. Rêveur et profond au premier acte, mélancolique au deuxième, grand, passionné et sublime au troisième, il s’élève au cinquième acte à l’un de ces prodigieux effets tragiques, du haut des quels l’acteur rayonnant domine tous les souvenirs de son art. Pour les vieillards, c’est Lekain et Garrick mêlés dans un seul homme ; pour nous, contemporains, c’est l’action de Kean combinée avec l’émotion de Talma. Et puis, partout, à travers les éclairs éblouissants de son jeu, M. Frédérick a des larmes, de ces vraies larmes qui font pleurer les autres, de ces larmes dont parle Horace, Si vis me flere, dolendum est primum ipsi tibi. Dans Ruy Blas, M. Frédérick réalise pour nous l’idéal du grand acteur. Il est certain que toute sa vie de théâtre, le passé comme l’avenir, sera illuminée par cette création radieuse. Pour M. Frederick, la soirée du 8 novembre 1858 n’a pas été une représentation, mais une transfiguration.


FIN DE LA NOTE.