Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/145

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Antigone ? Non. Les poètes ne s’entr’escaladent pas. L’un n’est pas le marchepied de l’autre. On s’élève seul, sans autre point d’appui que soi. On n’a pas son pareil sous les pieds. Les nouveaux venus respectent les vieux. On se succède, on ne se remplace point. Le beau ne chasse pas le beau. Ni les loups, ni les chefs-d’œuvre, ne se mangent entre eux.

Saint-Simon dit (je cite ceci de mémoire) : « Tout l’hiver on parla avec admiration du livre de M. de Cambrai, quand tout à coup parut le livre de M. de Meaux, qui le dévora. » Si le livre de Fénelon eût été de Saint-Simon, le livre de Bossuet ne l’eût pas dévoré.

Shakespeare n’est pas au-dessus de Dante, Molière n’est pas au-dessus d’Aristophane, Calderon n’est pas au-dessus d’Euripide, la Divine Comédie n’est pas au-dessus de la Genèse, le Romancero n’est pas au-dessus de l’Odyssée, Sirius n’est pas au-dessus d’Arcturus. Sublimité, c’est égalité.

L’esprit humain, c’est l’infini possible. Les chefs-d’œuvre, ces mondes, y éclosent sans cesse et y durent à jamais. Aucune poussée de l’un contre l’autre ; aucun recul ; les occlusions, quand il y en a, ne sont qu’apparentes et cessent vite. L’espacement de l’illimité admet toutes les créations.