Page:Hugo - William Shakespeare, 1864.djvu/295

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faut qu’il se propose à lui-même sa propre énigme et qu’il s’en inquiète. L’inspiration étant prodige, une stupeur sacrée s’y mêle. Une certaine majesté d’esprit ressemble aux solitudes et se complique d’étonnement. Shakespeare, comme tous les grands poètes et comme toutes le grandes choses, est plein d’un rêve. Sa propre végétation l’effare ; sa propre tempête l’épouvante. On dirait par moments que Shakespeare fait peur à Shakespeare. Il a l’horreur de sa profondeur. Ceci est le signe des suprêmes intelligences. C’est son étendue même qui le secoue et qui lui communique on ne sait quelles oscillations énormes. Il n’est pas de génie qui n’ait des vagues. Sauvage ivre, soit. Il est sauvage comme la forêt vierge ; il est ivre comme la haute mer.

Shakespeare, le condor seul donne quelque idée de ces larges allures, part, arrive, repart, monte, descend, plane, s’enfonce, plonge, se précipite, s’engloutit en bas, s’engloutit en haut. Il est de ces génies mal bridés exprès par Dieu pour qu’ils aillent farouches et à plein vol dans l’infini.

De temps en temps il vient sur ce globe un de ces esprits. Leur passage, nous l’avons dit, renouvelle l’art, la science, la philosophie ou la société.